Séminaire Santé, environnement et justice [SEJ]
Philosophes face au procès du Médiator
Marion Vorms
Université Paris I Panthéon Sorbonne, IHPST : Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques
Isabelle Drouet
Université Paris-Sorbonne, Sciences, Normes, Démocratie
26 mars 2025, 12h15-13h45
Campus CLSH, Nancy
Salle G04
Cette séance est une deuxième rencontre au sein d'une collaboration interdisciplinaire en humanités médicales à l'université de Lorraine.
Présentation
Experts, témoins, avocats et juges : questions scientifiques et questions juridiques au procès du Mediator
Comment les sciences peuvent-elles éclairer une décision de justice ? Pour examiner cette question, l’affaire du Mediator est un cas remarquable : derrière le scandale s’est joué un procès pénal dont une partie considérable a été consacrée à l’examen de questions scientifiques. La molécule de benfluorex a-t-elle des propriétés « anorexigènes » ? Est-elle une amphétamine ? Indiscutablement oui, selon l’accusation ; rigoureusement non, selon la défense.
Pourquoi de telles questions ont-elles à ce point concentré les débats judiciaires ? Que permettent-elles de dire de la culpabilité des laboratoires Servier et de leur responsabilité dans le drame sanitaire attribué au Mediator ? Quelles réponses les experts scientifiques peuvent-ils y apporter pour aider les juges dans leur raisonnement ?
Pour répondre à ces questions, nous avons mené une enquête approfondie nous conduisant, après avoir exploré le dossier de l'instruction et rencontré de nombreux acteurs du procès, à assister aux audiences d'appel. Cet exposé vise à présenter certaines de nos conclusions.
D'abord, nous tentons de reconstituer la pertinence de l'une des questions scientifiques centrales du procès - celle du caractère anorexigène ou non de la molécule - dans la logique de l'accusation. Puis, nous nous interrogeons sur la nature et l'étendue de l'éclairage que l'on peut tirer de la littérature scientifique pour répondre à cette question. Dans un troisième temps, fortes de nos observations à la Cour d'appel, nous faisons part de nos conclusions sur la manière dont les arguments scientifiques sont pris en compte dans le cadre judiciaire.
Contexte du projet interdiscipliaire UL / AHP
En 2007, la pneumologue Irène Frachon constate un nombre anormal d’anomalies cardiaques au sein de son hôpital à Brest. Elle remarque qu’ils partagent tous le fait d’avoir été traités par le benfluorex (principe actif du Mediator, un médicament commercialisé par Servier). Après deux ans d’enquête, et souvent face à l’hostilité des institutions en charge de la protection des patients. La découverte d’Irène Frachon provoque un bouleversement du paysage sanitaire français. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) s’est reformée en profondeur, allant jusqu’à changer de nom (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ANSM). Elle a tardé à suspendre la commercialisation du Mediator, et plusieurs liens d’intérêt entre le laboratoire Servier et l’institution ont été constatés.
Quelques mois après le dernier procès de l’affaire Mediator, cette journée d’étude cherchera à interroger les répercussions de ces événements, à réfléchir sur les liens d’intérêt entre l’industrie pharmaceutique et le monde médical, et sur les modes de financement de l’industrie du médicament.
Lors de la première séance de notre séminaire 2024-25, nous avons invité Irène Frachon pour l'entendre parler de son expérience – cf. le programme de la demi-journée. Aujourd'hui, nous voulons analyser les enjeux du procès Médiator, observé par les philosophes des sciences Marion Vorms et Isabelle Drouet.
Organisation: Anna C. Zielinska, Claire Crignon